Introduction générale
Magnifique conférence du Colonel Hervé Flammant, au SHD (Service Historique de la Défense), retravaillée par ses soins pour le format du forum de Rochefort d'Abord.
Hôtel cour d'honneur (Photo fournit pas le Colonel Hervé Flammant)
La maison du roy désigne à Rochefort les bâtiments destinés à héberger le représentant de l’autorité royale qui exerce l’autorité administrative sur l’arsenal. Elle a en outre vocation à accueillir le séjour du souverain « lorsqu’il lui plaira venir en visiter les installations ».
Le titulaire de cette charge est au 17 ème siècle, l’intendant de la marine (officier de plume) auquel l’organisation de Colbert donne des pouvoirs élargis d’administration, de justice, d’ordre public, de contrôle financier. La prééminence des officiers de plume fait de l’hôtel leur lieu de résidence et de travail (maison de l’intendant). 32 intendants se succèdent à ce poste jusqu’en 1781.
L’ordonnance de Sartine, ministre de la marine de Louis XVI en 1776 bouleverse ce principe colbertien en déportant les pouvoirs d’administration vers les officiers d’épée.
Les commandants de la marine prennent la place des intendants à la tête de l’arsenal en 1781 jusqu’à la révolution en 1793. L’empire fait de l’hôtel le siège de la préfecture maritime jusqu’en 1927, année de fermeture de l’arsenal.
45 préfets maritimes complètent dans cette période, la liste des autorités résidant à l’hôtel, puis 38 amiraux et capitaines de vaisseau au titre du siège du commandant de l’arrondissement maritime jusqu’en 2002, année où la marine quitte Rochefort.
Une courte parenthèse de deux années s’ouvre alors au cours de
laquelle l’hôtel reste inoccupé.
En 2004, le commandement des écoles de la gendarmerie nationale quitte le fort de Charenton à Maisons Alfort pour s’installer à l’hôtel de commandement.
En accueillant un grand commandement de la gendarmerie, la maison du Roy permet à la ville de renouer avec la tradition d’une implantation militaire, constante depuis 1666.
Par une singulière coïncidence, la gendarmerie est aussi l’héritière de la « maison du Roy » qui désigne sous l’ancien régime la formation militaire chargée d’assurer la protection du souverain en son palais et lors de ses déplacements.
L’hôtel de commandement prolonge jusqu’à aujourd’hui sa triple vocation : unité de lieu d’une autorité, en lien avec l’administration centrale, de travail d’un état major et de vie, avec ses parties privative et publique d’accueil, de réception et d’influence.
L’extérieur autant que la distribution intérieure de la maison ont été soumis à une logique évolutive et n’ont pas cessé d’être remaniés pour conjuguer les besoins fonctionnels avec les disponibilités financières.
1° L’édification de la maison du Roy 1671 – 1674Plan initial(Photo fournit pas le Colonel Hervé Flammant)
1.1 – Contexte historique
En 1662 Charles Colbert de Terron, cousin du grand Colbert, ministre de la marine de Louis XIV, se voit confier la responsabilité de rechercher sur le littoral un site compatible avec l’implantation d’un grand arsenal.
Il est éclairé par d’éminents spécialistes dont Louis Nicolas de Clerville, commissaire général des fortifications, qui supervise par ailleurs le grand chantier du canal royal en Languedoc.
Les deux démarches convergent. L’aménagement d’une voie navigable intérieure vise à se protéger des attaques des pirates barbaresques et des puissances navales ennemies qui infestent la Méditerranée.
Sur chaque façade maritime, un port arsenal doit contrôler l’accès au canal et entretenir / réparer les vaisseaux.
Le site retenu sur l’Atlantique en miroir au port de Sète, est arrêté en 1665 avec Rochefort.
D’autres contributeurs de renom collaborent à l’entreprise, comme François le Vau (frère de Louis, le bâtisseur du château de Versailles) qui réalise le quai aux vivres et la première forme de radoub maçonnée d’Europe et Nicolas François Blondel qui construit la corderie royale.
Entre 1666 et 1669, corderie, magasins, ateliers, forge, fonderie, poudrières et formes de radoub sont édifiés dans l’ordonnancement typique d’une architecture sobre et austère.
Les premiers vaisseaux sont mis sur cale dès 1666.
En 1671 Colbert se déplace à Rochefort pour dresser un rapport au roi.
A cette occasion il se fait présenter les plans de la maison du roi. L’hôtel particulier est édifié entre 1671 et 1674 sur l’affleurement rocheux qui supportait l’ancien
château féodal du 11è siècle détruit en 1616. Des fouilles partielles en 1996 et la profonde cave voûtée qui s’enfonce aujourd’hui sous le corps de logis, attestent que la maison du roi occupe l’emplacement du château primitif.
1.2 - Centre de gravité du complexe militaro-industriel de l’arsenal
A la fin du 17è siècle l’édifice est constitué d’un pavillon à étage relié à un grand corps de logis dans le prolongement de la rue St Charles (actuelle Audry de Puyravault).
Les deux ailes sont des constructions sans plan d’ensemble, avec des hauteurs différentes et sans unité architecturale.
L’entretien laisse à désirer, sans doute en raison de ce que la maison du roi
dépend des fonds des fortifications, fortement mis à contribution pour la réalisation des forts de l’estuaire et de la ville.
La maison comprend, cinq pièces d’habitation, un cabinet, une salle du conseil, une
bibliothèque et diverses servitudes (écuries, hangars, courettes, buanderie, bûchers et remises). Servie par une domesticité réduite d’une dizaine de personnes, elle comporte des commodités se résumant en deux puits, des latrines canalisées vers la Charente et une glacière.
A la jonction entre la ville et l’arsenal, la maison du roi est le centre de gravité du complexe militaro-industriel qui s’étale à ses pieds.
Selon l’ordonnancement classique, elle s’inscrit entre cour et jardin, l’une étant à l’opposé de l’autre.
L’accès à cette époque se fait par la rue St Charles (Audry de Puyravault), puis par un escalier menant à une petite cour d’honneur, face au Sud et à l’aval du fleuve, du côté des formes de radoub actuelles.
La maison est flanquée au Nord par le jardin du roi dont la superficie est alors triple de ce qu’elle est aujourd’hui.
Vers l’Est, la vue s’étend sur la Corderie Royale et le cours du fleuve.
Au Sud s’échelonnent les cales de construction et la chapelle des frères des missions qui devient la première paroisse St Louis en 1687.
En 1791, son clocher est aménagé en plateforme pour communiquer par signaux avec le fort Vauban de Fourras et avec les navires qui remontent le fleuve.
A l’Ouest enfin, la maison s’ouvre sur la ville par une grille.
1.3 – Transformations successives
En 1682 on installe une salle à manger au rez de chaussée de l’aile Nord côté jardin du roi.
En 1683, le creusement de la double forme Louis XV impose le changement des accès à la maison.
Une nouvelle entrée principale est aménagée sur cour qu’on atteint par la rue des
Petites Allées bordée d’une double rangée d’arbres et fermée par une grille du côté de la place Colbert.
En 1693, l’architecte Pierre Toufaire construit pour Michel Begon le cabinet de l’intendant à l’emplacement d’une petite cour carrée, côté Est.
En 1701 est aménagée au dessus du cabinet une terrasse avec balustres formant garde corps donnant sur la Charente. Elle est couverte d’une toiture supportée par une colonnade en 1788, puis fermée par des baies vitrées en 1815.
En 1699, la rue St Charles est fermée et Bégon y fait construire une fontaine mettant gratuitement à disposition des habitants, l’eau d’une source captée à Tonnay Charente.
Le manque d’entretien, la mauvaise qualité des matériaux et sans doute les tremblements de terre de 1703 et 1704 occasionnent des dégradations préoccupantes.
Dès 1728 l’intendant Beauharnais, signale à la cour qu’il a été obligé d’étayer certaines pièces de l’aile Sud qui menacent ruine et de déplacer ses bureaux.
La vente d’une seconde parie du jardin à la ville en 1745 s’accompagne en 1748 de l’édification de la porte triomphale.
L’aspect dépareillé de l’ensemble motive un premier projet de reconstruction, rapidement contrarié par la révolution de 1848, et un second en 1853 visant à l’édification d’une nouvelle préfecture maritime en 1854, n’est pas davantage suivi d’effet.
1. 4 – Reconstruction de la préfecture maritime
Le 4 mars 1895 à 21h20, une violente explosion suivie d’un incendie dévaste l’aile Nord.
Le sinistre qui résulte d’une fuite de la chaudière à gaz que l’amiral Puech a fait installer dans ses appartements mobilise huit pompes à feu ainsi que toutes les troupes de la ville.
Le feu est maîtrisé vers minuit, mais 650 m2 sont détruits à l’étage de l’aile Nord, le pavillon est endommagé, le rez de chaussée est inondé et l’aile Sud, la plus vétuste est épargnée ! Au nombre des pertes figure le mobilier de la chambre occupée par Napoléon du 4 au 8 juillet 1815 avant sa reddition aux Anglais et son départ en exil.
La reconstruction des deux ailes sur rue, estimée à 150 000 francs décide les autorités à d’inéluctables travaux qui ne peuvent plus être différés.
Les deux ailes sont reconstruites en pierres de Crazanne et celle du Sud est déplacée de cinq mètres pour élargir la cour d’honneur.
La reconstruction a pour effet de désaxer la porte triomphale par rapport à la nouvelle cour. Les ingénieurs de la marine conçoivent un astucieux dispositif pour déplacer le monument de 70 tonnes d’un seul bloc. Une tranchée est creusée sous les fondations, dans laquelle on insère des coulisseaux en bois et le samedi 10 juillet 1897, la translation de l’édifice est réalisée au moyen de deux cabestans manœuvrés par 18 hommes chacun.
La porte est déplacée de 2,78m. dans le sens des Petites Allées (rue Courbet) et de 2,42 m. dans le sens de la rue Toufaire.
L’ensemble de l’hôtel a dès lors la configuration qu’on lui connaît aujourd’hui.
En tant que siège du représentant de l’autorité, la vielle maison du roi a connu de nombreux épisodes mêlant la grande et la petite histoire.
Sous Louis XV, les finances de l’État mises à mal par les guerres du règne précédent, font négliger la marine, l’arsenal ne construit presque plus et connaît des heures dramatiques. L’intendant de Givry qui a déjà alerté la cour de la misère des ouvriers, doit faire face à l’envahissement de l’hôtel par les charpentiers basques et béarnais, venus réclamer les salaires qui n’ont pas été versés depuis six mois.
La médiation nécessite l’entremise d’un « interprète », car les protestataires s’expriment dans leur patois régional.
Le drapeau tricolore est hissé pour la première fois sur le bâtiment le 19 décembre 1790 et les révolutionnaires du district de Rochefort tentent en vain de s’emparer des lieux le 26 juillet 1793.
C’est sans doute à cette occasion que sont perpétrées les mutilations du fronton de la porte triomphale où comme à l’hôtel Latouche Tréville, les fleurs de lys sont supprimées sur le blason et sur la couronne.
Le souvenir de la Marine reste marqué dans les lieux comme le rappellent les ancres et les canons d’époque révolutionnaire.
Ailes cour aux canons(Photo fournit pas le Colonel Hervé Flammant)
Daté de l’an II, soit 1794, l’un porte la devise «Liberté, Egalité », le mot « Fraternité » sera rajouté sous Louis Philippe. Ils portent la marque de la fonderie de Ruelle sur Touvre en Angoumois.
Le pavage de la cour a enfin une origine commune avec celui des rues de Rochefort. Il résulte d’un ré-emploi de lest de vaisseau, qui servait à améliorer la marche des navires à la mer, au retour des colonies d’Amérique et du Canada.
Cette présentation des extérieurs peut maintenant se compléter de celle des locaux.
Les pièces historiques font partie intégrante de la distribution et restent utilisées comme espace de travail par l’état major, à côté de ceux privatifs, dédiés au logement du général.
L’incendie et les transformations successives ont laissé peu de traces des décors d’origine. Ceux qui subsistent témoignent des goûts du temps comme du cadre de vie des occupants successifs.
2° La distribution intérieure de l’hôtel de commandement2.1 – Les pièces historiques du rez de chaussée
Depuis la cour d’honneur on traverse le vestibule (infra) pour accéder à la salle du conseil, puis au cabinet de l’intendant, aujourd’hui le bureau du général.
2.11 – La salle du conseil (19 ème siècle)
Autrefois antichambre du bureau de l’intendant, elle s’ouvrait sur la cour d’honneur initiale, orientée au Sud. Elle sert toujours aux réunions de l’état major. Les belles boiseries du 19 ème siècle décorées de scènes mythologiques sculptées voisinent avec des trophées d’armes (lances de dragons/panoplies de sabres et cuirasses) qui sont un héritage de l’école de gendarmerie de Chatellerault fermée en 2004 et implantée dans une autre ville arsenal, réputée pour être un important fourbisseur d’armes blanches.
La pièce est dominée par la présence tutélaire de l’intendant Begon dont un buste occupe la niche destinée à l’origine à recevoir un poêle.
L’intendant Begon est une figure de Rochefort, tant en raison de la longévité de ses fonctions, de 1688 à 1710, que de son inlassable investissement à sa tâche. Esprit des lumières et érudit, il était épris de curiosités et passionné de sciences. C’est en hommage à son goût pour la botanique que le religieux Plumier, qu’il a côtoyé en Martinique et à Marseille, donne son nom à une plante qu’il rapporte des îles en 1690 : le bégonia.
Begon est aussi fortement impliqué dans le souci d’améliorer l’état sanitaire de la ville. Il fait achever le pavage des rues par prélèvement d’une taxe sur les boissons vendues dans les tavernes, développe les égouts et l’adduction d’eau potable, crée un orphelinat et une maison pour les veuves de la marine.
Au delà de leur valeur décorative, les décors mythologiques véhiculent des messages exaltant les vertus – courage, fidélité, persévérance, patience.
Des allégories ailées sont des victoires : Nikè en grec, personnification de la renommée brandissent une couronne de lauriers, à l’origine de plusieurs noms – Nice, Nicée, ou prénoms
– Nicolas, Bérénice... sans oublier la marque sportive Nike !
- D’autres figures ailées sur un disque astral et tenant des flambeaux sont des allégories de la lumière. Deux d’entre elles reconnaissables au croissant ornant la chevelure représentent Artémis, déesse de la chasse et protectrice des animaux sauvages.
Scène mythologique cabinet conseil (Photo fournit pas le Colonel Hervé Flammant)
Le mariage d’Eros et Psyché, l’un des deux plus célèbres de la mythologie. Eros et Psyché se tiennent la main et mêlent le feu de leur flambeau.
Leur amour triomphe des erreurs et des épreuves de Psyché en présence des dieux de l’Olympe « résumés » dans les figures d’Aphrodite, déesse de la beauté et mère d’Eros à gauche, tenant une pomme et de Héra, déesse du mariage reconnaissable à sa chevelure et brandissant un rameau de grenadier, à droite. Les deux vases cérémoniels évoquent le nectar et l’ambroisie qui constituent la nourriture des dieux.
Les autres scènes représentent :
- Aphrodite faisant l’éducation d’Eros enfant, espiègle et désobéissant dont il faut affermir le discernement et maîtriser l’impulsivité,
- la querelle entre Héra et Artémis à propos de la guerre de Troie,
- Psyché victime de la jalousie de ses sœurs qui la persuadent qu’elle doit chercher à voir le visage de son amant (Eros). Psyché se prépare à l’action en s’armant d’un couteau et d’une lampe à huile,
- Un satyre, peut être le dieu Pan, reconnaissable à des oreilles en pointe et à ses pattes de bouc, boit goulûment, les pied appuyés sur un tronc où sont accrochés les cymbales, le syrinx (la flûte de pan) et le thyrse, bâton surmonté d’une pomme de pin, utilisés lors des processions du culte de Dionysos, dieu du vin et de l’ivresse,
- Cérès, déesse des moissons soigne la vigne et éduque les hommes aux travaux de la terre nourricière.
2.12 – Le cabinet de l’intendant (fin 17 ème siècle)
Œuvre de l’architecte Pierre Toufaire, sa décoration, bien préservée est typique de la fin du 17 ème siècle avec des boiseries en quart de rond dans les angles, des guirlandes de lauriers, des pilastres à chapiteau ionique et des trophées au dessus des portes glorifiant les sciences et les arts.
Elle reflète l’esprit des lumières ainsi que l’engouement pour les connaissances qui
président à la formation des officiers de marine et préfigurent les grands voyages de
circumnavigation.
Tout autour de la pièce, les pilastres sont enrichis à mi hauteur de sculptures à la fleur de tournesol. Elles constituent un discret hommage au roi soleil autant qu’à la passion Begon pour la botanique.
Cadeau du grand Colbert à son cousin Colbert de Terron, le bureau en palissandre de Madagascar et décors en bronze doré est l’élément central de la pièce. Des personnages illustres y ont travaillé, Phélypeaux de Pontchartrain, ministre de la marine de Louis XIV, le comte d’Artois, futur Charles X, l’amiral prince de Joinville, fils de Louis Philippe.
Le bureau est le seul meuble classé de la maison qu’il n’a jamais quittée depuis l’origine.
2.13 – Le vestibule
- L’escalier remanié lors des travaux du 19 ème siècle comporte un décor au bas des murs, à base de panneaux de plâtre traités en brossage imitant le marbre. Une élégante rampe en fer forgé caractérise un travail de ferronnerie du 19 ème siècle.
- Une plaque de cheminée en fonte aux armes de François, marquis d’Usson de Bonrepaus (1644-1719) lui aurait été offerte à l’occasion d’une inspection à Rochefort de ce proche collaborateur de Colbert en 1683.
Mais le lourd cadeau qui ne put trouver place dans son carrosse pour regagner Versailles a été laissé sur place.
- Une plaque commémore la bataille navale de Minorque, remportée par l’escadre française aux ordres de Michel Barrin de la Galissonnière en mai 1756, seule victoire au crédit de la royale sur la rivale flotte anglaise au début de la guerre de sept ans (1756-1763).
Petit fils de Begon et fils de l’intendant de la marine de Rochefort, La Galissonnière est né en 1693 dans la maison du roi. L’expédition de quatre mois est la dernière de sa carrière.
Epuisé par une santé fragile, il meurt en octobre au cours de son déplacement pour Fontainebleau où l’avait convié Louis XV pour lui remettre le bâton de maréchal.
- Une porte aujourd’hui condamnée dans le mur Nord du vestibule, servait d’accès à la chapelle de l’intendance.
Consacrée en 1672 au vocable de St Charles elle est déplacée en 1682 pour aménager à sa place la salle à manger.
Un oratoire est alors installé dans un réduit ouvrant par cette double porte et qui permettait à la maisonnée de suivre l’office depuis le vestibule. Le besoin de place et les transformations successives décident de la disparition du lieu de culte.
C’est alors à la chapelle St Louis (tour des signaux) qu’est dévolu le service
religieux de l’intendance.
2.14 - Le grand escalier
L’escalier qui dessert l’étage est décoré de deux tableaux de grande taille.
- Une vue panoramique du port de Rochefort, au milieu du 19 ème siècle par Roger
Chapelet, peintre de la marine (1903-1955). Cette toile de près de quatre mètres se lit comme un hommage à l’arsenal dont elle met en scène les principaux éléments identitaires.
Le fleuve Charente, avec deux embarcations légères qui lui donnent vie, puis une série de navires évoquent les mutations technologiques que reflète la modernisation de la marine : le gros bâtiment à gauche paraît être un exemplaire de la classe Tonnant à deux ponts et 80 canons, développé par Borda et Sané au début du 19 ème siècle.
Il pourrait représenter L’Alexandre, construit à Rochefort en 1848 puis transformé en vaisseau mixte en 1856, équipé d’une hélice et d’une machine Indret de 800 CV. En 1860 il est commandé par le Capitaine de vaisseau Exelmans, qui devient préfet maritime de Rochefort en 1875.
Au second plan, le panache d’une cheminée attire l’attention sur un vapeur. Il pourrait s’agir du Sphinx, premier vapeur opérationnel construit à Rochefort en 1829 sur les plans de l’ingénieur Hubert. Vestiges de la vielle marine à voile, les pontons à droite, sont relégués au rang de casernes flottantes, pour le logement des marins en attente d’embarquement.
On reconnaît en arrière plan les silhouettes des deux moulins de l’ingénieur Hubert, la porte du soleil (1831) et la tour des signaux (1791).
- Le second tableau « Le conseil de conscience », est une copie de l’oeuvre de Jean François de Troy.
Créé par Anne d’Autriche en 1643 ce conseil avait vocation à éclairer le souverain sur la nomination des évêques, la discipline ecclésiastique et sur les empiétements des protestants.
Il réunit la reine mère et le jeune Louis XIV au centre, le cardinal Mazarin et Pierre Séguier, haut magistrat proche du cardinal à gauche, St Vincent, confesseur de la reine et Pierre Charton, pénitencier de Paris à droite. Ce tableau pourrait provenir de la chapelle St Louis ou de l’orphelinat fondé par Begon.
2.2 – Les pièces historiques de l’étage
2.21 – La salle à manger
- Restaurée après l’incendie de 1895, la pièce abritait initialement le billard. Elle a ensuite servi de bureau pour des officiers d’état major de la marine. Un beau portait en pied de Pierre Loti en uniforme de lieutenant de vaisseau peint par sa sœur Marie Bon, dépôt du musée Hèbre St Clément rappelle que l’officier-écrivain était affecté à l’hôtel entre 1893 et 1896, comme aide de camp de l’amiral Puech.
Loti travaillait au manuscrit de son roman Ramuntcho lorsque se déclencha l’incendie de 1895.
La petite histoire rapporte que le document a été sauvé des flammes par l’un de ses camarades de l’état major.
- Les caissons des fenêtres donnant sur les jardins constituent un précieux décor préservé du sinistre avec deux intéressants monogrammes.
La représentation de la couronne ne permet pas d’attribuer ce symbole au roi, mais à un autre titulaire.
Une hypothèse oriente vers deux bâtards légitimés du roi soleil, titrés successivement amiral de France, une circonstance assez significative pour justifier ce travail de menuiserie, en forme d’hommage.
Supprimée en 1627 par Richelieu, la charge d’amiral de France est recréée en 1669 par Louis XIV pour le fils naturel qu’il a eu avec Louise de la Vallière, Louis de bourbon comte de Vermandois.
A sa mort en 1683, la charge échoit à un autre bâtard légitimé que le roi a eu avec
Madame de Montespan, Louis Alexandre de Bourbon, Comte de Toulouse et duc de
Penthièvre.
A la différence de son devancier, Toulouse s’implique au profit de la marine dont il
devient chef du conseil lors de la polysynodie (1715-1718).
Ce monogramme pourrait ainsi s’attribuer au Comte de Toulouse et on peut même conjecturer que les deux initiales L forment un A dans la partie centrale de la représentation. Les quatre étoiles sont sous l’ancien régime, l’insigne d’un commandant en chef.
2.22 – Le salon de musique
- Le salon de musique s’organise autour d’un beau piano demi queue Pleyel en acajou de Cuba daté de 1872.
L’instrument a fait la réputation des concerts de bienfaisance organisés dans les
années soixante par l’épouse de l’amiral en vue de réunir des fonds pour la reconstruction de la Corderie Royale, détruite par les allemands lors de leur évacuation en 1944.
2.23 – Le salon vert dit « des amiraux »
Salon Amiraux (Photo fournit pas le Colonel Hervé Flammant)
- Dans l’état de sa dernière restauration de 1858, cet espace raffiné est rythmé par quatre grands miroirs dorés, frappés comme le mobilier d’une ancre de marine sculptée.
Ce jeu de glaces permet d’optimiser la lumière du jour pour compenser son orientation au Nord.
Il offre des perspectives sans fin que pouvait exploiter l’hôte des lieux lors des réceptions.
En se plaçant à un endroit particulier il pouvait sans se déplacer, embrasser d’un seul regard tous les invités présents dans la pièce.
- Un remarquable parquet à la Versailles et une belle cheminée en marbre complètent le mobilier.
La plaque de cheminée comporte les armes anciennes de Rochefort, avec l’astre solaire rayonnant à six branches qui symbolise le ponant, le rocher surmonté d’une tour du vieux château (rocca fortis) qui donne son nom à la ville et en pointe de l’écu, une nef rappelle les 550 navires construits dans l’arsenal depuis 1666. Le plus gros a été la République Française de 118 canons, en 1803.
- La pièce a accueilli les hôtes illustres avec en 1682 le prince héritier de Danemark, futur Fréderick IV en visite à l’arsenal sur l’invitation de Louis XIV, et l’impératrice Joséphine lors du premier séjour à Rochefort du couple impérial, du 4 au 6 août 1808.
L’empereur visite les troupes de Rochefort et des environs. C’est à cette occasion qu’il se fait présenter les plans de fort Boyard.
2.24 – La galerie Begon
- Élevée en 1701 sur les plans de Pierre Toufaire, cette salle accueille aujourd’hui le lourd billard en acajou de Cuba daté de 1872. Après avoir servi d’orangerie, puis de salle de bal et de réception, elle est toujours utilisée ponctuellement pour des conférences ou des concerts.
La décoration de la pièce s’enrichit de beaux lustres en bronze doré, à la verticale desquels, le plafond est équipé d’un astucieux système de trappes mobiles permettant l’évacuation des fumées de chandelles.
2.25 – La chambre d’honneur dite « de l’empereur »
Chambre Napoléon (Photo fournit pas le Colonel Hervé Flammant)
- L’hôtel a vocation à accueillir des hôtes de marque lors de leur séjour à Rochefort. Cette pièce est avec la chambre La Fayette installée dans les appartements privés, dédiée à cet usage.
Elle comporte un intéressant mobilier de style empire même s’il faut préciser que le lit, de l’empereur est une copie du mobilier d’origine, détruit dans l’incendie de l’aile Nord en 1895 où il était installé.
- L’endroit n’en conserve pas moins sa force évocatrice du second séjour de Napoléon entre le4 et le 8 juillet 1815. Selon une anecdote, l’officier allemand qui occupait l’hôtel durant la seconde guerre mondiale faisait garder la pièce par un factionnaire afin qu’elle ne soit pas profanée. Les premiers militaires français qui reprirent possession des lieux après le départ des allemands en septembre 1944, ont décrit la maison dans un grand désordre, à l’exception de la chambre de Napoléon dont le lit était recouvert du drapeau tricolore. Un buste de Napoléon en empereur romain est installé sur la cheminée.
- Trois scènes sculptées en relief, dorées à l’or fin retracent le mythe de Psyché.
- Une console supporte, une copie du masque mortuaire de Napoléon, identique à celle du musée de l’Armée aux Invalides et de la Malmaison. Elle résulte d’une souscription lancée en 1833 par Antommarchi, médecin corse qui accompagna l’empereur jusqu’à sa mort à Ste Hélène en 1821. Les historiens ne prêtent aucun crédit à ce masque mortuaire qui apparaît comme une version très « arrangée » par le médecin corse.
L’impératrice Marie Louise avait d’ailleurs dénoncé en son temps la supercherie.
- En juillet 2015 la commémoration du départ en exil de Napoléon a donné lieu à une
reconstitution dans la cour de l’hôtel avec le concours de l’association rochefortaise le Garde Chauvin.
Des conférences du Souvenir Napoléonien données à cette cette occasion ont mis en lumière les projets initiaux de Napoléon et l’épisode charentais précédant sa reddition aux anglais le 15 juillet 1815.
Au cours de son séjour à la préfecture maritime du 4 au 8 juin 1815, l’empereur explore, puis écarte plusieurs offres qui lui sont faites de forcer le blocus anglais, très symbolique.
L’escadre de l’amiral Hotham échelonne en effet une dizaine de bâtiments entre Quiberon et la Gironde et seulement trois unités dans les pertuis dont le Bellerophon (Cne Maitland). On perd un temps précieux entre hésitation et indécisions.
Chaque soir une foule nombreuse acclame Napoléon qui rend leur salut aux Rochefortais depuis la galerie.
L’empereur quitte Rochefort le matin du 8 pour l’île d’Aix.
Alors qu’il paraît s’être décidé pour embarquer sur un brick danois, la Magdalena, Mme Bertrand renverse la situation, effondrée à la perspective d’une traversée hasardeuse.
Désemparé, Napoléon se résout à faire porter sa reddition au Cne anglais Maitland. Le 15 juillet, après avoir revêtu l’uniforme de colonel de la Garde il embarque dans une chaloupe du brick l’Epervier qui manœuvre et jette l’ancre près du Bellerophon pour assurer le transbordement de l’illustre passager.
Le 26 juillet le Bellerophon touche Plymouth.
Le 7 août Napoléon est transféré sur le Northumberland qui lève l’ancre pour Ste Hélène où il arrive le 15 octobre 1815.
- Le rêve de l’empereur était de gagner l’Amérique pour se livrer à des contributions
scientifiques permettant "d’élever les connaissances humaines".
Son aide de camp le général baron Simon Bernard, polytechnicien, officier du génie devait l’accompagner dans cette nouvelle aventure.
Suspecté de sympathies bonapartistes par la Restauration, Bernard gagne
les Etats unis où il réalise les relevés géodésiques des routes reliant Washington à la Nouvelle Orléans. Il conçoit les plans des défenses côtières du Maine à la Louisiane qui lui valent le surnom de « Vauban du Nouveau Monde ».
Cadet de West Point en visite à la maison du Roy
Nommé brigadier général de l’armée des Etats Unis par le Président Madison, il contribue enfin à la demande des autorités américaines à fonder l’académie militaire de West Point sur le modèle de Polytechnique.
3° – L’hôtel de la marine est un livre d’histoire
En tant que siège du représentant du pouvoir, l’hôtel de la marine a accueilli de nombreux visiteurs illustres, parfois dans le cadre de démarches diplomatiques d’où leur caractère discret.
- Il reste un absent de marque parmi les hôtes célèbres : Louis XIV qui commanda l’édification de l’arsenal et qui ne vint jamais le visiter.
Les guerres (de Hollande, 1672 - 1678 / des réunions 1683-1684 / de la ligue d’Augsbourg, 1688-1697 / de succession d’Espagne, 1701-1713), et les drames familiaux avec le décès du grand dauphin en 1711, et celui du Duc de Bourgogne son petit fils en 1712, constituent autant d’empêchements objectifs.
Les désordres de santé relatées dans les chroniques des médecins du roi, comme l’extraction d’une molaire qui emporte un fragment osseux du palais en 1672 et l’opération de la fistule en 1686, ne plaident pas davantage pour exposer la santé du roi aux pestilences pathogènes qui font la mauvaise réputation de Rochefort à l’époque.
On se rappelle que les funestes fièvres caniculaires liées aux marais ont failli à plusieurs reprises décimer la population, de quoi dissuader une visite du « plus bel arsenal du royaume».
La superbe grille de la porte triomphale avec son puissant symbole d’un soleil couchant forgé dans le métal rappellent le dessein comme la destinée de l’arsenal du Ponant.
Elle se referme sur ce panorama, forcément incomplet de plus de trois cents ans de continuité, qui imbriquent en permanence la grande et la petite histoire.
Puisse cette présentation d’un lieu confidentiel, car ordinairement non libre d’accès, contribuer à mieux le faire connaître de tous ceux que rassemblent l’histoire, la marine et Rochefort.
Visites exceptionnelles proposées par le service du Patrimoine se renseigner à l’Hôtel Hèbre de Saint-Clément au 05 46 82 91 60
Photos Rochefort d'Abord, sauf mentions contraires.