Au début de l'histoire de ce reportage il y a le Service Historique de la Défense, comme bien souvent dans mes recherches sur le passé de Rochefort, j'avais donc décidé de faire des recherches sur l'arsenal détruit par l'occupant allemand à son départ, ce que je fis.
Ce que l'on sait:
"À Rochefort, les Allemands sont partis le 25 août en mettant le feu à l’Arsenal et à la Corderie Royale pour revenir le 27. Rochefort est définitivement libérée le 12 septembre. Cette libération coupe les relations terrestres entre les forteresses constituées par les secteurs côtiers de La Rochelle-La Pallice-Ré et de Royan-Oléron."
Mais au cours de mes recherches j'ai trouvé bien plus intéressant que des recherches historiques (exercice assez moyen pour moi), une lettre, offerte par sa propriétaire à la Société de Géographie de Rochefort.
Une lettre, passionnante dont je vous laisse savourer le témoignage rare, avec les superbes photos du SHD.
Deux documents exceptionnels et unique, les photos de l'ampleur des dégâts et ce magnifique témoignage à chaud d'il y a 75 ans
Présentation de la lettre par la Société de Géographie de RochefortMme Liot, documentaliste au lycée Merleau-Ponty, nous communique une lettre de son père, Maurice Pons, écrite lors de la libération de Rochefort en septembre 1944, à destination de son épouse, réfugiée en zone libre à Confolens. Maurice Pons, ingénieur en électricité automobile, exerçait sous l'Occupation la profession de garagiste, 13 rue Lafayette à Rochefort ; puis il devint le directeur del'école d'apprentissage SNECASO (Sud Aviation). Dans sa lettre, Maurice Pons raconte comment, parti de Confolens à vélo, il rejoint, le 9 septembre, Rochefort occupée par les Allemands et cernée par les Alliés. L'intérêt de ce document, outre les qualités du récit, réside dans le fait qu'il est rédigé sur le vif : dès le 9 septembre, Maurice Pons prend conscience de la gravité des événements dont il est le témoin et décide de consigner par écrit chaque soir « les faits de la journée ». La lettre sera envoyée le 13, avec un exemplaire du Démocrate, premier journal de Rochefort libérée (les noms de certaines personnes mises en cause dans cette lettre pour faits de collaboration sont réduits à leurs initiales).
Lettre de Maurice PonsRochefort, le 9 septembre 1944
Ma Chérie,
Me voici enfin de retour à Rochefort après un voyage long et fatiguant.
Tu dois savoir à l'heure actuelle que je suis arrêté à Ruffec à cause de la pluie, je t'ai écrit mercredi matin de chez M. Robert.
Je t'ai dit combien ils avaient été aimables pour moi, me considérant comme de leur famille. Après avoir mis la lettre à la poste, sans savoir d'ailleurs quand et comment elle partirait -- et je peux en dire autant de celle-ci -- j'ai assisté au départ de plusieurs camions emmenant des troupes.
Je me suis renseigné et ai appris qu'ils partaient pour Tonnay-Charente et que l'attaque de Rochefort était imminente.
Appontement n°5 magasin général
Appontement n°5 magasin général
Voyant cela, Robert et sa femme ont tellement insisté pour que j'attende encore une demi-journée et le temps étant peu sûr, j'ai cédé à leurs instances et c'est ainsi que je n'ai quitté Ruffec que jeudi matin par un temps superbe. Je suis parti à 9 heures.
A Villefagnan, j'entends des coups de feu. Je m'arrête et me renseigne: les F.F.I. faisaient simplement du tir dans un pré.
Rassuré, je repars, avec un léger vent debout qui me gênait un peu, mais enfin, ça allait.
Arsenal-sud
Tout se passa pour le mieux jusqu'à ce que je quitte la grande route pour prendre le chemin pour raccourcir et passer par Le Gicq et Gibourne. Mal m'en prit. Chemin épouvantable, détrempé par la pluie, très boueux par endroits, tant et si bien que ma roue AR dérapait assez souvent et je fis des prodiges d'équilibre pour ne pas tomber.
De plus, toutes les bornes kilométriques étaient passées au goudron, tous les panneaux grattés à blanc; le résultat ne se fit pas attendre, j'ai tourné presque en rond pendant 1/2 heure avant de trouver quelqu'un qui me remette dans le bon chemin et me fasse reprendre la bonne route que j'avais quittée. Je ne suis donc pas passé ni à Gibourne ni à Varaize, mais par Loiré et j'ai fait 8 ou 10 km de plus que mon itinéraire prévu.
Arsenal-sud
A 1 heure moins le quart je m'arrêtais pour déjeuner à Loiré, dans un petit café qui me permit de manger sur une table.
Mon temps d'arrêt à Ruffec n'avait pas amélioré mes provisions ; une partie était immangeable, mais il en restait largement assez pour mon repas. Je n'ai même pas mangé le jambon. A deux heures, je repartais, mais le vent avait pris de la force, et n'avait pas changé de direction. Aussi les derniers km qui me séparaient de St Jean furent très pénibles et j'arrivais à St Jean bien fatigué à 4 heures moins dix.
Arsenal-sud
Pour me reposer un peu, j'allais chez M. Quéron lui porter des nouvelles de son frère. Très aimable réception là aussi, on m'offre des fruits et du vin que j'accepte avec grand plaisir et qui m'ont fait grand bien.
St Jean avait été libéré l'avant-veille et il y avait beaucoup de troupes, même l'enterrement de 5 F.F.I. tués l'avant-veille dans une sérieuse bagarre qui a eu lieu à Surgères. Mais revenons à M. Quéron.
Sa mère se trouvait là et fut très heureuse d'avoir des nouvelles de Confolens.
Nous avons causé de Rochefort et elle me dit que Melle Labeyrie était à St Jean et se disposait à partir chez elle. Ayant manifesté le désir de la voir, elle l'envoya chercher par un commis qui revint aussitôt avec elle.
Bassin n°1 pont tournant
Bassin n°3, écluse, portes aval, chalutier armé, coulé par explosion
Et j'appris là toutes les destructions dont Rochefort avait été le théâtre : Block brûlé, Zodiac brûlé, l'Arsenal dynamité et brûlé (pendant 2 jours et 2 nuits on ne vit que flammes et fumée), les écluses du bassin 3 sautées, un bateau échoué à l'intérieur, un remorqueur coulé à l'entrée, le pont est intact ; Pointreau brûlé, l'atelier de rechapage de Chandeau brûlé et ses garages de la route de Royan, en face chez Lemont, brûlés.
Un vrai désastre, travail de vandales, qui sont partis le lendemain pour La Rochelle. Immédiatement les extrémistes se précipitent à la mairie et parlent de faire un mauvais coup au maire et aux adjoints.
De plus, un officier et 2 soldats allemands étant revenus pour je ne sais que faire, sont tués.
Un civil, très énervé et même dangereux à la mairie, est tué par un agent. Résultat, les Allemands reviennent. Et ils sont encore là, tu recevras sa lettre sans doute, elle nous raconte un peu tout cela, mais surtout qu'avant de partir, les Allemands, de gré ou de force, ont ouvert les garages et ont pris tout ce qui pouvait rouler, vélos et autos. Et notre pauvre Ariès a fait partie de la fournée !
J'ai eu bien mal au coeur en apprenant cela; il y a si long-temps que nous étions ensemble, elle nous avait tant promenés ! Et maintenant, plus rien ! Serons-nous seulement payés ! Enfin, on verra. Mais je me suis un peu écarté de mon voyage, et je reviens à St Jean. Après notre conversation, je vais avec Melle Labeyrie demander à la mairie si la route de Rochefort est libre.
Nous tombons sur la levée des corps dont je te parlais tout à l'heure, et la cérémonie ne se termine qu'à 5 h 1/2. Je décide de coucher à St Jean car je suis vanné.
Melle L. décide de partir avec moi le lendemain matin, de façon à être auprès de ses parents pendant la bataille qui doit commencer incessamment.
Aucun renseignement officiel; tout le monde nous conseille de ne pas partir. Nous maintenons notre décision.
Elle me fait inviter à dîner chez sa tante et nous partons avec son oncle chercher une chambre.
Rien à faire; tout est réquisitionné par la troupe. L'oncle me rassure en me disant qu'il y aura un lit pour moi chez lui. J'étais gêné d'accepter, mais l'invitation fut faite si simplement et si sincèrement que je dis oui.
Après une bonne nuit, nous enfourchions nos vélos à 10 h. et en route. Mais quel jarret a cette jeune fille ! Elle m'attendait à chaque côte ; elle ne met que 1 h 3/4 pour faire le trajet alors qu'il me faut 2 h 1/2 pour le faire. Bref, nous arrivons sans encombre jusqu'à Lussant, mais là, il y avait un barrage et le sergent de service ne voulait pas nous laisser passer pour Rochefort. Nous avons parlementé et enfin il nous a autorisés à partir, nous disant que le dernier barrage nous refoulerait.
Société Bloch (Dassault) actuelle STELIA.
Société Bloch (Dassault) actuelle STELIA.
Et ce fut exact, au carrefour des routes de Lussant et de Tonnay-Charente, plus rien à faire pour passer. Nous avons fait demi-tour et pris le chemin de Puissoteau; avant d'arriver chez Santey, nous avons bifurqué à gauche, et à travers prés et bois nous avons rejoint la route à l'usine électrique. Nous appuyons dur sur les pédales, car on nous avait tant dit que l'attaque était imminente que nous avions peur de nous trouver entre deux feux. Cela ne s'est heureusement pas produit et nous avons trouvé le poste allemand aux portes placées au Pont Rouge.
Sur simple présentation de notre carte d'identité, nous sommes enfin rentrés bien contents à Rochefort que nous avons trouvé très calme et vaquant comme d'habitude à ses occupations. Tu penses de l'heureuse surprise de mes parents ! J'ai déjeuné et longuement causé de ce qui s'était passé pendant mon absence. Maman pleurait encore de n'avoir pas pu empêcher le départ de l'Ariès.
Certes c'est fort ennuyeux, mais malheureusement je ne suis pas la seule victime. Ils ont pris le camion de remorquage de T. -- rien ne lui a servi de collaborer -- et même le cheval, la voiture et les harnais de la pauvre Mme Gay qui est bien gênée pour aller au marché ! Quelles brutes ! Et nous attendons toujours l'attaque, qui, je l'espère, ne se produira pas, car le capitaine de corvette Mayer, nommé commandant de la Marine pour ici et La Rochelle, est en train de négocier la reddition des troupes d'occupation.
Société Bloch (Dassault) actuelle STELIA.
Société Bloch (Dassault) actuelle STELIA.
Les pourparlers sont, paraît-il, en bonne voie, mais ça ne marche pas tout seul, et cela se comprend un peu que les Allemands hésitent et soient vexés de se rendre à la F.F.I.
Espérons que les difficultés s'aplaniront vite et que nous serons libérés sans combat. C'est dans l'anxiété que nous attendons. En cas de rupture des négociations et d'attaque, nous devons en être informés par le tocsin, et nous devons nous enfermer chez nous et ne plus bouger, toutes fenêtres et contre-vents clos, jusqu'à la fin.
Mais déjà, bien des dames fabriquent des drapeaux.
Etant donné ces événements, je reste coucher rue du 4 Septbre. Au garage, ils ont terminé la moto de la Gendarmerie Mme (dont le lieutenant est enchanté, le travail étant très bien fait), puis, apeurés par la façon de procéder des Boches et sur les conseils de maman, ils ont fermé le garage.
Ce matin, je suis allé au marché avec maman, et suis allé voir Arnaud, Damy, Latreille et les voisins.
Zodiac réaffecté aujourd'hui à diverse associations et à STELIA
Zodiac réaffecté aujourd'hui à diverse associations et à STELIA
Tout le monde a été content de me revoir et ces marques de réelle sympathie m'ont bien fait plaisir. M. Damy est allé à Civray quelques jours après mon départ ; il en est revenu avec Mme Damy par la Micheline de St Saviol le vendredi 29 Août.
Sans les bobards de Confolens, j'aurais pu en faire autant, revenir avec eux et beaucoup moins me fatiguer. Mais enfin c'est fait, n'en parlons plus. Comme les événements sont graves et que je ne sais quand partiront mes lettres, à partir de demain je consignerai tous les soirs par écrit, à ton intention, les faits de la journée.
Et quand je pourrai, je te les expédierai.
Mes parents sont en excellente santé et très heureux de me revoir et d'avoir de vos nouvelles. Ils sont maintenant un peu plus rassurés. La bouteille d'huile -- que j'ai oublié de payer à maman -- a fait le plus grand plaisir.
Ils me chargent de vous embrasser tous pour eux. J'espère que les derniers jours de vacances d'André et Simone se sont bien passés. Hélas, tout a une fin, je viens encore de m'en apercevoir, et j'avais bien le cafard de vous quitter.
Quand pourrai-je revenir vers vous? Souhaitons que ce soit très bientôt et pour de bon cette fois. Fais de grosses bises pour moi à Nicou, à Jannie, à papa et à maman, et à toi mes plus tendres caresses et mes plus affectueux baisers.
Ton Maurice
Dimanche 10 septembre.
Les négociations continuent. Le commandant Mayer est parti hier à Bordeaux chercher des officiers de l'armée régulière. Les Allemands ne veulent pas traiter avec les F.F.I. et l'amiral de La Rochelle veut avoir devant lui un officier général. Entendu quelques coups de feu hier soir. Il paraît que c'est un s/off. de Bir-Hacheim qui, seul, a attaqué un poste de mitrailleuses au Pont Rouge pour prendre cette arme. Il a blessé 3 Allemands mais a été tué par les 2 autres.
A 5 heures, j'étais au jardin lorsque j'ai entendu des applaudissements frénétiques. Je ne sais ce que c'est lorsque le bruit court que c'est un jeune général français de 45 ans, avec d'autres officiers amenés par le cdt Mayer qui arrive de Bordeaux et vont [sic] à La Rochelle.
Ils sont passés juste à l'entr'acte du cinéma. D'où l'ovation du public.
A 6 h 1/2, même manifestation.
La délégation revient de La Rochelle.
Gros émoi. Nous partons en vitesse voir ce qui se passe place Colbert. Ils sont repassés juste à la sortie du cinéma.
Foule place Colbert, mais tout le monde se dirige vers la préfecture maritime. Là, maître Bignon sort et nous dit de rentrer chez nous ; il espère nous donner sous peu de bonnes nouvelles.
Nous rentrons pleins d'espoir. Lundi 11 septembre. Encore quelques coups de feu cette nuit.
Tout le monde est anxieux car on aurait [sic] quarante-huit heures aux Allemands pour se rendre. Et des bobards toute la journée.
Tous les magasins ou à peu près sont fermés; personne ne travaille. Rochefort attend et paraît bien mort.
Ce soir, nouvelles alarmantes. Des renforts allemands sont arrivés. Les négociations seraient rompues.
On s'attend à l'attaque pour cette nuit ou demain matin.
Tout le monde achète du pain en prévision du coup dur; la nervosité augmente. Nous couchons anxieux, attendant à chaque instant le tocsin qui nous annoncera l'attaque.
La Corderie Royale
Mardi 12 septembre. A 9 h. moins dix ce matin, nous prenions notre petit déjeuner lors-que les cloches se mettent en branle à toute volée. Qu'est-ce que cela signifie ?
Aucun autre bruit, pas de détonations. Nous mettons le nez à la fenêtre. Dans la rue, quelques personnes s'interrogent, anxieuses. A ce moment-là, nous voyons Pouget, au bout de la rue, qui sort un grand drapeau et le met à sa fenêtre. Comme une traînée de poudre le bruit circule : les Allemands sont partis cette nuit ver 3 h; et Rochefort est libéré !
Moment de joie profonde. Nous nous habillons en vitesse et en route pour la place Colbert. Elle est déjà noire de monde.
Les rues et les monuments commencent à se pavoiser. De partout sortent des drapeaux français et alliés ; les gens sont joyeux.
Nous nous plaçons en face de la mairie, sur le monticule qui recouvre les tranchées. Grand remue-ménage.
Des quantités de Rochefortais circulent avec un brassard F.F.I.
Il étaient, paraît-il, plus de 2000 à la résistance.
Quelques rares F.F.I., des vrais, arrivent en voiture ou en camions et sont follement acclamés.
La Corderie Royale
La Corderie Royale
La foule hurle. Quelques remous, des cris, des vociférations chaque fois qu'un groupe de trois ou quatre Rochefortais amènent une femme qui a trop intimement collaboré.
Et elles sont nombreuses.
Les hommes arrêtés sont conduits directement à St Mau-rice.
Des noms circulent, que je te donnerai quand ils seront confirmés.
D'ores et déjà je peux t'indiquer le colonel R. Elie a disparu.
Le haut-parleur demande à tous les musiciens d'aller à la Préfecture Mme avec leurs instruments.
On va recevoir officiellement là-bas nos libérateurs. Nous ne bougeons pas car, bien placés, nous attendrons leur arrivée ici.
Les petits groupes se succèdent ; on chante la Marseillaise, on hue les arrêtées, la foule est folle.
La Corderie Royale, au dessus le Jardin de la Marine
La Corderie Royale
Cela continue ainsi jusqu'à 10 h 30, où Bignon apparaît à la fenêtre de la mairie et nous fait un discours. Il nous annonce qu'à 3 heures on nous présentera la nouvelle municipalité (déjà et les Allemands sont à Yves).
Encore une Marseillaise et nous allons déjeuner et pavoiser. Partout ce ne sont que drapeaux aux fenêtres et gens qui rient, chantent et s'embrassent.
Des quantités de marins, sous-officiers et officiers de marine, aviation ou de terre ont revêtu l'uniforme. Quel plaisir et quelle joie de revoir toutes ces tenues dans Rochefort pavoisé aux couleurs françaises et alliées.
Après déjeuner, nous montons rue Lafayette mettre des drapeaux chez nous et au garage, et nous revenons place Colbert.
Toujours même animation et même foule. A 3 h. on installe à une fenêtre le buste de la République. Ovation, Marseillaise.
Puis Bignon reparaît, encore un discours où il rappelle ceux de nos concitoyens emprisonnés pour des raisons politiques, donne la liste des fusillés par les Allemands et enfin donne la liste de la municipalité : maire : Bignon; 1er Adjoint, Salaneuve ; 2e Adjoint, Voisin ; 3e Adjoint, Roulin ; 4e Adjoint, Ruault ; Conseiller avec attributions spéciales, Mesplède.
Parmi les conseillers : Houradou, Lafitte, Dexant, Laimé, Pétraud, etc. Et voilà !!! Puis il annonce que le Conseil va se réunir et après la réunion il se rendra au monument aux morts. Nous partons immédiatement prendre place à l'ombre, devant la poste, aux écoles Zola.
Toujours des applaudissements et des vivats quand passent des groupes ou des voitures du maquis.
Puis passe un camion qu'on nous fait signe de ne pas applaudir. En effet, il marche lentement, et contient le cercueil, recouvert des 3 couleurs, du jeune sous-off. qui a été tué au Pont Rouge. Pauvre jeune homme, victime de sa témérité plus que de son courage.
Tout à coup, la fanfare ex-municipale, remaniée, sous la direction de M. Boniface, arrive en jouant un pas redoublé ; derrière elle, les pompiers, séparés en deux sections par leur drapeau, puis des groupes de F.F.I. rochefortais qui prennent place autour du monument.
Un moment après, le Conseil municipal arrive, au grand complet, le maire accompagné du Ct Meyer, et suivi par les membres de la Résistance : Peltier, Pujos, etc.
Dépôt d'une gerbe et discours du maire. Enfin, dislocation.
Les F.F.I. sont maintenant en quantité et leurs voitures circulent à travers la ville qui continue à les acclamer. Je vais faire un tour au garage, où déjà un officier m'attend pour réquisitionner de l'essence ... que je n'ai pas.
Ca commence.
Correction parfaite, même amabilité ! Nous avons affaire au groupe Bir-Hacheim et c'est une chance pour nous.
L'Etat-Major doit arriver incessamment et s'installer à l'hôtel de France.
Peut-être verrai-je M. Thury.
En rentrant, je repasse avec papa place Colbert. Là un spectacle déconcertant, à la fois macabre et désopilant nous attend : on vient d'exhiber sur le kiosque les 33 femmes dont on a tondu les cheveux très ras : Mme K., A. la coiffeuse de la rue du Champ-de-Foire et d'autres que je ne reconnais pas. C'est hideux à voir. Et tout autour, la populace qui hurle, applaudit, trépigne de joie pendant qu'on oblige ces malheureuses à tourner autour de la balustrade en faisant face au public.
Station de pompage des bassins de radoub, salle des moteurs et des pompes
Il fallait une punition, soit. Mais pas jusque là. Ce fut une vision de révolution et tous les gens posés et réfléchis trouvent que c'est aller un peu loin. Tu ne peux pas t'imaginer combien peut être laide , horrible, une femme tondue. Je ne trouve pas les mots qu'il faudrait pour dépeindre cette impression. Vision de cauchemar où tu vois des têtes invraisemblables et des traits que tu crois reconnaître. Non, jamais je n'oublierai un tel spectacle.
Enfin, on fait retraverser la foule par ces femmes, pour revenir à la mairie et on nous annonce un grand bal public pour le soir sur la place.
Et après dîner, nous remontons.
Mais pas de courant.
Quelques jeunes gens se sont procuré des feux de Bengale et des farandoles s'organisent autour de ces lueurs. Voyant cela, nous redescendons nous coucher. De chez nous, nous entendons chanter l'Internationale, puis, un peu plus tard, un coup de feu.
Et c'est tout pour aujourd'hui. Nous venons de vivre une journée historique, unique dans les annales de Rochefort : sa libération, l'entrée des F.F.I., la prise de possession de la mairie par la nouvelle municipalité, les spectacles offerts pour calmer la populace, tout cela parmi des pavoisements et une foule en délire tels qu'on n'en avait jamais vu à Rochefort.
Analyser les sentiments qui nous ont assaillis et les sensations éprouvées toute cette journée est impossible, il faudrait être un écrivain pour bien exprimer tout ce que nous avons ressenti de joie, de plaisir, d'enthousiasme et aussi d'angoisse de voir toute cette joie, tout ce déploiement de foule en délire, alors que les avant-postes allemands sont encore à 15 km environ.
Espérons qu'ils ne reviendront pas en représailles et que et que nous ne les reverrons pas à nouveau dans nos rues.
Mercredi 13 septembre. Ce matin, je montais au garage après avoir été chercher Roland. Je l'envoie chez Serge, qui n'est pas chez lui.
Hier, Roland est allé chez Claude. Celui-ci, se voyant au Pont Rouge sur le point d'être pris entre deux feux et en pleine bataille, est parti avec sa mère à Beurlay et il n'est pas rentré.
Scènes extraites de certaines photos
Scènes extraites de certaines photos
Je vois M. Damy qui me dit qu'il va assister à l'enterrement , ou plutôt au passage du cortège, du jeune sous-off. Je le suis et donne rendez-vous à Roland pour le soir avec mission de trouver Serge. Nous apprenons que le manque de courant de la veille a été voulu car on avait ramené le corps à la mairie où une garde d'honneur l'a veillé toute la nuit. Et la détonation d'hier soir provient d'un coup de revolver tiré en l'air sur la place par un ami du défunt, outré de ce que le public s'amuse si bruyamment aussi près du corps de son camarade.
Nous sommes allés devant la poste où nous avons assisté à cet enterrement grandiose par sa simplicité et la foule immense qui accompagnait ce pauvre jeune homme au cimetière, municipalité en tête.
Bignon a fait encore un autre discours.
Il n'en est vraiment pas chiche.
Nous apprenons aussi que les Tablettes ont été réquisitionnées et qu'un nouveau journal, Le Démocrate, va paraître ce soir à la date de demain, dirigé par Cendres et Cassel qui est rentré derrière les F.F.I. (ainsi que Bénuraud). Cet après-midi, avec Roland et Serge, nous avons commencé à travailler.
Quelques petites choses, bien peu, mais assez pour nous remettre en train.
Ce matin, le haut-parleur a donné l'ordre à toute la population de reprendre le travail demain matin.
Scènes extraites de certaines photos
Scènes extraites de certaines photos, le blockhaus des jardins de la Corderie Royale
Tout se calme déjà, mais il y a encore pas mal de mouvement en ville. Il est vrai qu'il y a tant de chômeurs !!!
Je viens d'acheter le journal que je joins à cette lettre et que je vais mettre à la poste pour qu'elle parte le plus tôt possible. Je crois que tu auras ainsi quelques détails sur ces jours pleins de fièvre que j'ai vécus ici. Mes parents vous embrassent tous. Grosses bises à Nicou, Jeannie, papa et maman et à toi mes plus tendres et affectueux baisers.
Ton Maurice
Crédits:
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