L'histoire, « La Grande Guerre des Gendarmes »
Que l'on soit passionné d'histoire, avide de culture générale, ou simplement curieux, cette exposition est passionnante à plus d'un titre.
Tout d'abord pour comprendre le rôle qu'a joué la gendarmerie dans cette époque trouble de notre histoire qu'est la Première Guerre mondiale.
On comprendra vite que les taches confiées à ce corps d'armée ne pouvaient en aucun cas en faire des gens appréciés, ni des soldats, ni de la population, en ces temps difficiles.
Pourtant, avec le recul, il apparaîtra qu'elle fut vitale à bien des égards sauvant de nombreuses vies, en prenant juste quelques exemples, la fluidification du trafic pour le ravitaillement du front, la sécurisation et la protection des réfugiés fuyant le conflit (civils), et bien d'autres faits.
Pour ce qui est de l'impopularité, je vous laisse le texte d'explication de l'exposition, rédigé par le Colonel Flammant, qui avec l'aide du livre de Louis N. Panel, a rédigé ce superbe texte accompagnant le cheminement de l'exposition, visible jusqu'au 23 octobre seulement !
Le général de corps d'armée Thibault Morterol avec le livre de Louis Panel, en introduction à la conférence du colonel Flammant.
Notes de l'Exposition « La grande guerre des gendarmes » D’après la thèse universitaire de Louis Panel 2009 / du 3 au 23 octobre 2018 au SHD Rochefort
Texte du Colonel Flammant, commandement des écoles de la Gendarmerie Nationale
Introduction :
Après avoir été présentée dans le cadre des commémorations du centenaire de la Grande Guerre depuis 2014 au musée de la gendarmerie à Melun, au Service historique de la Défense à Vincennes et à la Région Est de gendarmerie à Metz, cette exposition a été conçue d’après les travaux de doctorat de M. L. Panel.
L’accès aux archives, notamment les procès verbaux de constatation des gendarmes, les journaux de marche des unités, les témoignages et récits de la guerre permettent aujourd’hui une analyse dépassionnée et une mise en perspective des mentalités du haut commandement, des soldats et de l’opinion, livrant des clés de compréhension sur les circonstances dans lesquelles la gendarmerie traverse la guerre.
On comprend mieux comment la Grande guerre va lui imprimer une image dégradée d’impopularité voire d’exaspération, reflétant le rejet collectif des souffrances et des privations imposées par l’effort d’un conflit d’usure qui a surpris tout le monde par ses imprévus et par les adaptations constantes qu’il a imposées. L’exposition permet aussi de mieux saisir comment les réformes inspirées par Clemenceau contribuent à la modernisation de la gendarmerie au sortir de la guerre. Elle permet enfin d’objectiver le travail de mémoire.
1° Trois citations offrent une grille de lecture et fixent l’écart angulaire des nombreuses missions qui sont confiées à la gendarmerie au cours du conflit.
- Napoléon : « Deux ou trois cents hommes de cavalerie de plus ou de moins ce n’est rien, mais deux cents gendarmes de plus assurent le bon ordre et la tranquillité à l’Armée ».
- Le général Foch professait à l’école de guerre en 1909 : « L’avènement des grandes armées, le développement des technologies et la guerre de mouvement nécessiteront de ne mettre l’accent que sur l’obéissance du soldat ».
- Le général prussien Friedrich von Bernhardi donne dans un ouvrage visionnaire publié en 1911 une approche des combats à venir « Les nations combattront avec des armes perfectionnées qu’on n’a encore jamais utilisées. Les nerfs affaiblis des peuples trop civilisés d’Europe centrale pourraient ne pas y résister longtemps car les effets du feu décupleront l’inertie de la masse, causant d’énormes difficultés pour toute action militaire. Ils menaceront de manière inédite la cohésion des troupes et la force morale nécessaire aux combattants ».
La Grande Guerre met donc en mouvement des ressorts psychologiques déterminants pour tous les pays engagés.
2° Entrer en guerre : comment la gendarmerie se prépare à la guerre
Chaque année, les gendarmes participent aux côtés des troupes à des manœuvres en campagne qui permettent d’entretenir le bagage militaire des hommes. Entre 1901 et 1913, les grandes grèves ouvrières mobilisent pour les besoins du maintien de l’ordre des détachements de gendarmes aux côtés des troupes, préfigurant bien la mission de prévôté ( = la police aux armées).
En se référant aux campagnes militaires les plus récentes que sont les guerres coloniales, les responsables politiques et les chefs militaires envisagent une guerre courte et dominée par le mouvement. La guerre de 14-18 va surprendre tous les acteurs car elle sera longue et s’enlisera dans un conflit de positions, usant et dévastateur.
Dès juillet les gendarmes intensifient les mesures préparatoires résultant de la loi de 1913 portant le service militaire à trois ans et du fameux plan XVII qui est le schéma d’entrée ne guerre de la France. Dans les secteurs frontaliers, ils préparent l’évacuation des populations civiles, rappellent les permissionnaires des troupes de couverture, renseignent sur les préparatifs de l’ennemi (coupes d’arbres, réquisitions de chevaux, aménagement de positions ou de lignes de chemin de fer..). Ils recherchent espions et insoumis, surveillent les ouvrages d’art et les lignes téléphoniques pour les protéger des saboteurs.
3° Etat d’esprit collectif et constitution des prévôtés.
Le climat d’entrée en guerre est largement dominé par la hantise de l’espionnage : on parle même « d’espionnite ». Cet état d’esprit résulte de trois facteurs traumatisants :
- la défaite de 1870 rapidement mise sur le compte des espions,
- les conséquences de l’affaire Dreyfus et les collusions d’espionnage qu’elle a servi à masquer,
- la nostalgie des provinces perdues d’Alsace – Moselle qui inspire l’esprit de revanche en même temps qu’une forme de méfiance à l’égard des populations rattachées au Reischland (administration de l’empire prussien).
L’espionnage est aussi un argument psychologique car il prête aux Allemands un procédé déloyal visant à les diaboliser et et à minimiser les mérites de leurs conquêtes militaires. Un symptôme de ce climat est l’affaire des « bouillons Kub » : la société suisse Maggi est accusée de collaboration avec l’ennemi et les gendarmes sont chargés de saisir toutes les plaques publicitaires de la marque au motif qu’elles comporteraient au verso des indications codées destinées à renseigner les Allemands sur le dispositif défensif français. L’enquête démontre qu’il s’agit en réalité d’un code attribué par l’administration française au titre des formalités d’enregistrement de la marque !
Le 1er août les gendarmes effectuent les tournées de communes pour placarder les affiches de mobilisation et le 2 août, ils constituent les détachements de prévôté pour le front en prélevant un à deux hommes par brigade. Le volume initial de 4000 hommes est cependant insuffisant car le plan XVII prévoyait la constitution de 5 armées, mais avec la mobilisation des réserves, ce sont 10 armées qui sont mises sur pied, nécessitant en 1915 un prélèvement additionnel de 2000 gendarmes supplémentaires sur les 25000 que compte l’effectif de la gendarmerie en 1914. Au total 6000 gendarmes manquent dans les brigades.
Parallèlement, les gendarmes sont chargés des réquisitions de bétail et de chevaux auprès de la population, ainsi que de certains matériels indispensables aux armées. Ils procèdent à un nouveau recensement des mobilisables dont l’activité est jugée indispensable à la vie locale (boulangers, maréchaux ferrant, possesseurs d’une batteuse…).
Au total la réussite de l’énorme machinerie que représente la mobilisation est à verser au crédit de la gendarmerie, les autorités militaires ne déplorant que 1,2 % de réfractaires.
4° Apprentissage guerrier et déficit de légitimité
C’est en raison de la rareté des effectifs de la gendarmerie que le gouvernement ne l’autorise pas à constituer d’unité combattante en 1914. Cette rupture avec les usages depuis les guerres de la révolution et de l’Empire (en 1870 la gendarmerie avait constitué 3 régiments de marche) fait d’emblée mesurer par les gendarmes qu’ils seront privés de la légitimité qui s’acquiert sous la mitraille.
On autorise toutefois 290 gendarmes départementaux et 580 gardes républicains à s’engager à titre individuel dans les troupes de ligne où ils contribuent à l’encadrement des unités de réserve. Ils abandonnent toutefois leur tenue de gendarme pour revêtir l’uniforme des régiments, effaçant ainsi toute visibilité de la gendarmerie dans cette contribution à « l’impôt du sang » selon la formule de Clemenceau. Pour autant il y a bien des gendarmes parmi les Poilus !
Parmi eux une figure emblématique, le lieutenant Félix Fontan de la Garde républicaine, rendu célèbre pour avoir conduit la phase ultime de l’assaut contre la maison dans laquelle s’était retranché l’anarchiste Bonnot en 1912 à Choisy le Roi. Il s’engage le 12 octobre au 99 è Régiment d’Infanterie, est promu Capitaine à titre temporaire et meurt le 19 décembre 1914 à la tête de sa compagnie.
La mémoire collective n’a pas davantage retenu l’éphémère détachement de deux sections d’auto mitrailleuses de la compagnie de gendarmerie d’Arras (septembre 1914-janvier 1915) pourtant attributaires d’une citation à la croix de guerre.
Dans les secteurs frontaliers, les gendarmes sont avec les douaniers en première ligne face aux incursions ennemies pour mener de symboliques combats retardateurs. Ils font partie des premiers prisonniers de la guerre… et des premiers évadés.
A partir de 1915, 17 gardes républicains obtiennent leur brevet de pilote dans la nouvelle arme de l’aviation militaire. Le plus célèbre est Gaston Merlhe, crédité de quatre citations en combat aérien qui est promu officier après la guerre.
Il faut faire une mention particulière à l’équipement du gendarme à l’entrée en guerre. Doté en 1912 d’un casque de parade, il doit rapidement le recouvrir d’une toile de camouflage pour l’adapter au service en campagne. Mais à plusieurs reprises, la silhouette des gendarmes les fait confondre avec des cavaliers prussiens ou bavarois et ils essuient des tirs fratricides comme dans le secteur de la 6è armée sur l’Ourcq au cours desquels 5 des 6 gendarmes d’une patrouille sont tués par des tirs amis.
5° 1915 : tenir. Le cadre juridique d’emploi de la prévôté.
La loi du 9 août 1849 sur l’état de siège répartit et organise les pouvoirs en créant deux zones à statut juridique distinct.
Dans la zone aux armées, l’autorité militaire exerce des prérogatives exceptionnelles de police et de justice, notamment avec les conseils de guerre qui sont compétents pour connaître des manquements à l’autorité militaire commis par des français, soldats ou civils et des ennemis. La zone de l’intérieur relève du gouvernement sauf pour ce qui concerne la police et le maintien de l’ordre qui restent de la responsabilité des autorités militaires.
La prévôté est ainsi avec la justice militaire l’un des rouages du système de discipline exercé par délégation du commandant en chef à chaque niveau des grandes unités (armée, corps d’armée, division et secteur des étapes = intermédiaire entre la zone des armées et l’Intérieur). La prévôté est subordonnée à chacun de ces échelons auprès desquels elle est installée et le général Baumann nommé inspecteur général de la gendarmerie aux armées n’a aucun pouvoir de coordination sur les prévôtés, totalement inféodées aux états majors militaires.
Dès l’entrée en guerre, les effets dévastateurs des bombardements ennemis sèment la panique parmi les combattants. Plusieurs unités se débandent et opèrent des retraites désordonnées auxquelles le commandement réagit par une répression sans faille destinée à assurer l’obéissance. Il convient de noter que l’instruction sur le service en campagne de 1911 qui fixe les missions de la prévôté lui font interdiction de prendre part aux exécutions pour l’exemple qui relèvent de la troupe à laquelle appartiennent les soldats condamnées. Pour autant, la comparution et la conduite des condamnés par les gendarmes, rendent ces derniers très impopulaires.
6° L’activité des brigades de l’intérieur.
A partir de 1915, le front se stabilise et la guerre s’enlise faisant entrevoir que le conflit sera long. La loi du 30 juin 1915 instaure les permissions qui permettent aux combattants de rentrer dans leurs foyers 7 jours tous les 4 mois de campagne. A compter de cette mesure le taux des désertions flambe et le travail des gendarmes s’alourdit d’une bureaucratie phénoménale : signalements de désertions, autorisations de circuler, billets justificatifs de convalescence, régularisations, radiations d’insoumis…).
Le commandement exige une surveillance de tous les instants visant à s’assurer que les permissionnaires regagneront leur unité : ils doivent se présenter en uniforme toutes les 48h à la gendarmerie. La liste des déserteurs est affichée sur la porte des mairies. Les civils qui évoluent dans la zone aux armées sont étroitement surveillés (coiffeurs, aubergistes, vivandiers, prostituées…).
La presse et le courrier sont surveillés et censurés afin d’éviter que des renseignements puissent être exploités par les espions ennemis. Les clichés photographiques sont soumis au même régime (interdiction de photographier les armements nouveaux : avions, lance mine de 57 mm, batteries à tir rapide de 155 mm / mais aussi les blessés de guerre, les hôpitaux, les cantonnements et terrains d’aviation). Les journaux séditieux, défaitistes ou de propagande sont saisis par les gendarmes et détruits.
La chasse est interdite depuis le début de la guerre pour limiter le prolifération des armes. Avec l’essoufflement de l’économie, les mesures de rationnement et la poursuite des réquisitions, moins bien indemnisées qu’au début de la guerre, les gendarmes deviennent à l’intérieur aussi impopulaires qu’aux armées. La surveillance du braconnage fait proliférer le gros gibier qui dévaste les récoltes. Il faut faire encadrer des battues de destruction du gros gibier par les gendarmes.
L’enlisement de la guerre prive les brigades d’une part importante de leur effectif. De plus les prévôtaux sont partis aux armées avec leurs chevaux. A l’intérieur le service pâtit du manque de moyens, notamment la surveillance de nuit. On rappelle les gendarmes retraités depuis moins de cinq ans, puis les retraités de plus de cinq ans volontaires. c’est ainsi que le Capitaine Paoli sert jusqu’à 72 ans sous l’uniforme. Les effectifs restant insuffisants, on sélectionne des réservistes de l’armée territoriale qui deviennent les premiers auxiliaires de la gendarmerie. Mais ils ne sont pas formés au service spécial, ne sont pas assermentés et ne logent pas dans les casernes ce qui complique leur emploi. Avec l’allongement du conflit les meilleurs d’entre eux seront autorisés à se rengager pour trois ans en qualité de gendarmes temporaires. Pour combler les vacances de postes d’officiers, on fait appel aux magistrats et avocats exerçant depuis plus de sis années pour leur proposer des postes d’encadrement avec le grade de sous lieutenant.
Avec les permissions, les premiers gendarmes partis aux armées sont de retour dans les brigades. Comme les soldats de la ligne ils arborent à partir de l’été 1915 la tenue bleu horizon et sur leurs manches, les chevrons de blessure (manche droite) et ceux indiquant la durée de présence au front qu’on appelle des brisques, sur la manche gauche. Ce système a été adopté comme mesure de reconnaissance sur la proposition du député Adolphe Girod en avril 1916. Un combattant qui porte plusieurs brisques est ainsi un « vieux briscard ».
7° Missions de la gendarmerie dans la zone aux armées.
- Circulation et contrôle des axes : c’est la mission primordiale des prévôtaux, mais elle est dévalorisée car ce n’est pas une mission combattante. Elle vise à assurer la fluidité de la circulation sur les axes, car la guerre de 1870 laissait le souvenir amer d’un encombrement inextricable des routes qui avait causé l’anéantissement de l’armée tout entière ! Dès les premières semaines de guerre les voies ferrées ont été détruites par l’artillerie allemande. Les routes de campagne sont donc vitales pour acheminer en continu les troupes et les ravitaillements indispensables à la poursuite des combats. Il importe d’éviter la paralysie sur des axes étroits où les convois circulent lentement (un corps d’armée représente une colonne de 10 km de voitures hippomobiles,) tout en étant très exposés aux bombardements. Le réseau est vite saturé par les flots de réfugiés, les régiments qui montent en ligne à pied en coupant à travers champs et qui s’égarent… la bataille de la Marne et celle de Verdun portent l’exigence de fluidité à un niveau capital. Sur la voie sacrée menant à Verdun 9000 véhicules motorisés de noria acheminent chaque jour 20 000 hommes et 2000 tonnes de munitions, soit un passage de véhicule toutes les 6 secondes.
- Avant chaque assaut offensif la prévôté se déploie en arrière des lignes renforcée de cavaliers pour colmater les brèches, éviter les mouvements de débandade, guider les égarés vers leur unité ou vers les infirmeries. Les gendarmes contrôlent tout isolé, en particulier les concubines, épouses et prostituées.. ou les espions déguisés en femmes !
- L’alcoolisation massive des troupes par l’intendance ne tarde pas à inquiéter le commandement par la multiplication des problèmes de discipline et les risque sanitaires. Une campagne de lutte contre l’alcoolisme est conduite à partir de l’été 1915. Les gendarmes doivent s’assurer que les aubergistes sont détenteurs d’une autorisation, qu’ils respectent les horaires d’ouverture et de fermeture, font respecter l’interdiction de la vente d’alcool de plus de 23°, répriment l’ivresse publique et manifeste dans les cantonnements, font la chasse aux alambics clandestins, aux alcools frelatés et aux civils qui s’improvisent dans la vente d’alcool au détail. Ces mesures portent l’exaspération des Poilus à son comble.
Dans ces conditions, déjouer les contrôles des gendarmes devient un sport pratiqué par les militaires de tous grades qui décrédibilisent et discréditent l’action des prévôtaux.
- Les gendarmes assurent en outre une multitude de tâches liées à la police des cantonnements : contrôle des soins apportés aux chevaux, repérage des points d’eau potable, ensevelissement des cadavres. La tenue et la propreté des cantonnements résultent des leçons tirées de la guerre de Crimée (1854-1855) au cours de laquelle 3 épidémies avaient causé une mortalité de 75 % dans le corps expéditionnaire français. Les gendarmes sont responsables des corvées de glanage qui consistent à encadrer des prisonniers pour récupérer entre les lignes les armes et les munitions abandonnées au cours des combats. Ils recueillent les identités des soldats tués au combat, les circonstances de leur mort et les lieux d’inhumation en vue de renseigner les familles et de permettre l’ouverture des successions. Ils appréhendent les profiteurs et détrousseurs de cadavres qui s’approprient monnaies et montres en or.
8° Les missions judiciaires
La vie des prévôtés s’organise au plus près des état majors dans des locaux de fortune souvent réquisitionnés qui doivent offrir des possibilités d’abri contre les bombardements. Les gendarmes sont responsables de la tenue et du fonctionnement des prisons prévôtales (150 prisons dans la zone aux armées), de la tenue du greffe, des transfèrements de prisonniers, de leur comparution, et de leur escorte jusqu’à leur destination pénale, ainsi que du maintien de l’ordre dans les tribunaux militaires.
Avant la guerre la gendarmerie est cantonné dans les affaires judiciaires mineures. La criminalité organisée et le grand banditisme sont suivis par la sûreté générale et les brigades mobiles que Clemenceau a dotées d’automobiles (les fameuses brigades du Tigre). Aux armées, les officiers, gradés et chefs de brigades ont la qualité d’officiers de police judiciaire militaire. Ils acquièrent ainsi une bonne connaissance pratique des actes d’enquête (auditions, plaintes, signalements, saisies, perquisitions) et du déroulement du procès qui leur permettront d’élargir leurs compétences judiciaires à la sortie de la guerre.
Toutefois les missions ingrates des gendarmes au service d’une justice décriée qui condamne des compatriotes combattants, leur vaut d’être ostracisés et déconsidérés.
Ce service spécial impose aux gendarmes une tenue irréprochable et une disponibilité permanente (cette mise alimente les fantasmes des Poilus qui affrontent la boue des tranchées, d’où leurs critiques « d’embusqués »). Les prévôtaux figurent parmi les militaires les plus punis durant la guerre. Ces sanctions quasi automatiques procèdent de la multitude des échelons de commandement investis de pouvoirs disciplinaires, autant que de sanctions de principe au nom de l’exemplarité. Certaines masquent le manque de moyens – en cas d’évasion de prisonnier par exemple.
Le poste prévôtal est ainsi l’unité de vie, de temps et de travail où s’exécute à l’écart des troupes la paperasse démentielle du service quotidien.
9° Les troubles de 1917 la crise de la discipline et la réforme des prévôtés.
Assommés par une guerre d’usure qui excède l’exceptionnalité de la violence d’État, les Français ont focalisé sur les missions coercitives des gendarmes, perçues comme illégitimes en regard des atrocités endurées. L’échec de l’offensive Nivelle au printemps 1917 déclenche une grave crise de la discipline dans les régiments : chants révolutionnaires, refus de monter en ligne et manifestations insurrectionnelles inquiètent le haut commandement qui craint l’effet de contagion. Les incidents graves se multiplient contre les gendarmes en particulier dans les gares où des trains de 700 permissionnaires dont une partie, pris de boisson défient ouvertement l’autorité. Faute de mieux, les gendarmes évitent d’envenimer la situation.
A l’intérieur, 800000 grévistes paralysent l’industrie de guerre dans les usines et excitent les soldats à la mutinerie . Au camp de La Courtine dans la Creuse, une brigade de soldats russes se retranche et se mutine à force ouverte. Le Lieutenant colonel de gendarmerie Plique prend la tête d’une opération militaire qui dure un mois pour obtenir la reddition des 8000 mutins, tandis qu’ailleurs il faut monter de véritables opérations militaires pour déloger des maquis de déserteurs.
Les préfets réclament du gouvernement des moyens pour maintenir l’ordre. Les autorités comprennent qu’il n’est plus possible de recourir à la troupe pour le maintien de l’ordre comme cela se pratiquait avant guerre. On ne peut se permettre de désengager des régiments du front et on craint trop les fraternisations entre soldats et ouvriers. Affaiblie et déconsidérée la gendarmerie attire l’attention du gouvernement qui comprend qu’il ne peut espérer de reprise en mains du pays sans la réformer.
Le général Bouchez est nommé inspecteur général de la gendarmerie aux armées au printemps 1917. A la différence de ses prédécesseurs il est doté de véritables pouvoirs de commandement et de coordination des prévôtés qu’il réforme. Il simplifie leur service pour les concentrer sur les tâches essentielles, il réduit les effectifs de brigades qui passent de 22 à 15 hommes, dégageant ainsi une ressource de 3000 hommes organisés en sections autonomes, mobiles et interchangeables pour renforcer les secteurs des grandes unités ou pour être ponctuellement employées au maintien de l’ordre. Conçue pour le restant de la guerre, cette ressource de 3000 hommes fait déjà envisager sa pérennisation.
10 ° Clemenceau et le printemps de la gendarmerie
A la tête du gouvernement, Clemenceau mène trois réformes simultanément. Créée pour la durée de la guerre, la sous direction de la gendarmerie rattachée à l’état major de l’armée, est instituée et Clemenceau appelle à sa tête le Lieutenant colonel Plique. Des généraux de gendarmerie sont placés à la tête de cinq grands secteurs spécialisés dans la gestion du maintien de l’ordre. La gendarmerie y gagne son indépendance.
Le décret du 21 févier 1918 attribue le statut de sous officier à tous les gendarmes avec prérogatives attachées au grade. La mesure se complète d’améliorations matérielles : le gendarme n’est plus obligé d’acheter son cheval, téléphone, machines à écrire et bicyclettes apparaissent dans les brigades.
Les effectifs des sections prévôtales démobilisées sont reversés dans les légions (à raison d’un peloton à pied et d’un peloton à cheval) et convertis en pelotons pour le maintien de l’ordre. En 1921, la loi leur donne une existence légale sous l’appellation de Pelotons Mobiles donnant naissance à la gendarmerie mobile.
Ainsi à la sortie de la guerre, au prix d’un grave déficit d’image et d’un divorce avec l’armée, l’Institution gagne en autonomie en inaugurant des concepts porteurs de modernisation. La Grande Guerre est le creuset de la gendarmerie du 20 è siècle.
A la fin de la guerre le déficit en effectif se monte à 12000 hommes dans la gendarmerie. Il est urgent de reprendre le recrutement interrompu avec l’entrée en guerre. 25 % de l’effectif en officiers est manquant. Dans le même temps la démobilisation des corps de troupe offre une ressource opportune parmi leurs cadres. L’école des officiers de la gendarmerie est créée à Versailles le 31 décembre 1918. Les promotions amalgament un tiers d’anciens sous officiers sélectionnés et deux tiers d’officiers issus du « cadre latéral » des armées. Ils sont formés dans une doctrine unitaire à des compétences nouvelles nées de l’expérience de la guerre : service spécial, transmissions, police judiciaire, maintien de l’ordre et avec l’ambition d’en faire des chefs opérationnels et non plus seulement des organes de contrôle.
La première promotion accueillie le 24 février 1919 prend le nom de promotion de la Victoire.
Avant la guerre les recrues étaient formées sur le tas au sein de la Garde républicaine. Pour recompléter les effectifs, le premier Centre d’Instruction de la Gendarmerie est crée à Varennes sur allier en novembre 1918. Il est en outre chargé de former les futurs cadres de la gendarmerie polonaise. Avec le décret du 21 février 1918 instituant le statut de sous officier, trois autres écoles sont créées à Strasbourg, Moulins et Mamers et prennent le nom d’Ecoles Préparatoires de Gendarmerie. Elles forment 7000 nouveaux gendarmes en deux ans.
11° Sortie de guerre et travail de mémoire
Avec l’armistice et les traités de paix, la gendarmerie est déployée dans les territoires au-delà des frontières où elle développe une expertise de la sortie de crise et du rétablissement des souverainetés étatiques : création d’une légion de gendarmerie du Rhin, d’une légion de Pologne et détachements internationaux en Silésie, en Syrie, Cilicie-Levant et Constantinople.
Parallèlement, l’Institution entame un long combat pour défendre sa réputation face à la rancune des anciens Poilus, amplifiée par la légende noire des « cognes » (= le surnom donné aux prévôtaux) que véhiculent les œuvres littéraires d’une période où dominent le pacifisme et l’antimilitarisme.
Cette rancœur exutoire s’illustre notamment dans la légende des gendarmes que des Poilus auraient pendus à des crocs de boucher rue Mazel à Verdun ! Aucun procès verbal n’y fait pourtant allusion et il y a fort à parier qu’un acte aussi grave n’aurait pas pu passer inaperçu. Au début des années 50, Louis Demary un ancien combattant de 72 ans, dévoile avoir involontairement contribué à la répandre. Circulant après un bombardement rue Mazel à Verdun, il découvre devant la boucherie Parise une caisse de harengs saurs éventrée. Par espièglerie il suspend trois de ces harengs (= un hareng saur s’appelle aussi un gendarme!) aux crochets de la boucherie. L’anecdote amuse beaucoup les Poilus qui la colportent en plusieurs versions – gendarmes pendus à un réverbère, ou à un chêne – au point qu’un député l’évoque même à la tribune de l’assemblée !
Les chercheurs résument : l’anecdote reflète l’état d’esprit du moment, « le gendarme est devenu une effigie expiatoire, mais il fut en réalité moins le persécuteur du Poilu que son faire valoir, continuellement à sa portée ».
Dans les années 20 alors que la classe 1918 vient d’être démobilisée, la France se couvre de monuments aux morts et les incidents se multiplient à l’encontre des gendarmes, présents aux cérémonies d’inauguration.
Le décret du 28 juin 1927 institue une nouvelle mesure de reconnaissance des anciens combattants en créant la carte du combattant au bénéfice de tous ceux qui pourront justifier de trois mois de présence au sein d’une unité combattante au front.
Faute d’avoir été autorisée à constituer des unités combattantes, la gendarmerie est marginalisée : seuls les gendarmes engagés à titre individuel dans les corps de troupe et les 2300 blessés y sont éligibles.
De nombreuses associations d’anciens gendarmes relaient le travail mémoriel en publiant leurs souvenirs de la Grande Guerre.
Bilan
- Bulletin du grand quartier général du 27 avril 1919 : « La gendarmerie a joué aux armées un rôle pénible, obscur et ingrat, mais nécessaire ».
- La guerre fit 900 tués parmi les gendarmes : 270 dans les unités combattantes, 450 parmi les gendarmes prévôtaux et 180 pour la gendarmerie départementale. 2300 gendarmes furent blessés et 3702 furent décorés de la croix de guerre.
Service historique de la Défense